Interview
20 ANS D’ENERGIE FRANCO-ROUMAINE : BIEN PLUS QUE DE LA LUMIERE ET DU GAZ
Entretien avec Nicolas Richard, CEO ENGIE România
Gaz naturel ou énergie verte ? Pour Nicolas Richard, CEO d’ENGIE Roumanie, la réponse n’est pas un choix binaire mais un équilibre. Alors que la Roumanie s’impose comme premier producteur de gaz de l’UE et accélère sur le solaire et l’éolien, ENGIE trace sa feuille de route : 1 GW de capacités renouvelables d’ici 2030, un réseau prêt pour l’hydrogène et des solutions vertes pour les clients. Entre stabilité énergétique et pari sur l’avenir bas-carbone, le groupe veut rester un acteur clé de la transition.
Le gaz, un combustible de transition ou un obstacle à la transition verte?
Chez ENGIE, nous croyons que les deux types d’énergie sont complémentaires. Le gaz naturel assure la stabilité et la continuité de l’approvisionnement, tandis que l’énergie verte contribue à la décarbonation et à la protection de l’environnement. Ensemble, ces deux sources créent un mix équilibré, sûr et durable.
Cette approche holistique s’aligne également sur le potentiel de développement de la Roumanie. Il est bien connu que depuis 2024, elle est le premier producteur de gaz naturel de l’Union européenne, et les perspectives sont prometteuses grâce à l’exploitation du gisement Neptun Deep en mer Noire, qui doublera la production annuelle de gaz du pays et positionnera la Roumanie comme exportateur net de gaz naturel au sein de l’UE. Par ailleurs, la Roumanie réalise des progrès significatifs dans le domaine des énergies renouvelables, avec l’objectif d’atteindre 36,2 % de la consommation d’énergie issue de sources renouvelables d’ici 2030, grâce à d’importants investissements dans les capacités de production et dans les projets de stockage d’énergie.
En même temps, nous sommes conscients que l’avenir du gaz fossile est limité par rapport aux énergies vertes. C’est pourquoi nous préparons le réseau pour des gaz à faibles émissions : nous menons des projets pilotes d’adaptation à l’hydrogène et des initiatives pour le biométhane. Pour que ces solutions gagnent en traction, il faut du temps pour la maturation des technologies, des objectifs clairs au niveau national et un schéma de soutien dédié.
Roumanie verte 2030 – le plan d’ENGIE pour atteindre 1 GW installé en renouvelables. Quelles étapes?
À l’échelle mondiale, le Groupe ENGIE s’est engagé dans une stratégie ambitieuse: la transition vers une économie neutre en carbone d’ici 2045. L’un des piliers centraux de cette stratégie est le développement de la production d’énergies renouvelables. Rien qu’entre 2021 et 2024, le Groupe a ajouté 15 GW de nouvelles capacités, atteignant ainsi un portefeuille impressionnant de 102 GW à la fin de l’année 2024. Cette expansion répond directement au besoin des clients de sécuriser leurs approvisionnements en énergie verte, comme en témoignent les 14 GW contractés via des PPA (Power Purchase Agreements) de long terme.
En Roumanie, notre objectif est d’atteindre une capacité de 1 GW d’ici 2030. Aujourd’hui, nous exploitons déjà 248 MW, dont 178 MW répartis dans trois parcs éoliens et 70 MW dans six parcs photovoltaïques, implantés stratégiquement dans différentes régions du pays. Le portefeuille a été consolidé ces dernières années par une série de projets d’envergure, les plus récents étant les projets retenus lors de l’appel d’offres CfD pour le développement des énergies renouvelables: une centrale solaire d’une capacité de 170 MW et un projet éolien de 54 MW, qui seront construits prochainement.
Un autre axe stratégique de notre développement concerne les projets de stockage d’énergie par batteries, pour lesquels nous avons plusieurs initiatives en cours de préparation.
L’ensemble de ces investissements représente des étapes concrètes sur la voie de l’atteinte de notre objectif de 1 GW d’ici 2030.
Comment la vie des clients évolue-t-elle ? Quelles solutions leur proposez-vous (autonomie, prosommateurs, bornes de recharge)?
L’une des orientations stratégiques que nous poursuivons est de rester un partenaire de confiance pour nos clients, en les aidant à optimiser leur consommation d’énergie et à adopter des solutions vertes, tout en s’orientant vers des solutions numériques et flexibles pour la gestion énergétique. Nous leur proposons des systèmes de production d’électricité à partir de panneaux photovoltaïques, des solutions intégrées combinant pompes à chaleur et panneaux solaires, ainsi que des bornes de recharge pour véhicules électriques, pilotables grâce à des outils digitaux.
La production d’électricité par l’installation de panneaux photovoltaïques est une solution à laquelle recourent de plus en plus de clients, qu’il s’agisse d’entreprises de divers secteurs d’activité ou de clients résidentiels. Un exemple en est le parc photovoltaïque construit sur le site de l’usine de verre Saint-Gobain à Călărași, dédié exclusivement à la consommation propre de l’usine.
Parallèlement, nous avons concentré nos efforts sur la proposition à nos clients de solutions alternatives de mobilité écologique, complètes et intégrées, issues du portefeuille ENGIE. Celles-ci comprennent des bornes de recharge électrique alimentées par de l’énergie renouvelable, ainsi que des services de conseil, d’installation, de maintenance et de gestion continue de l’infrastructure, associés à un suivi digital de l’activité.
Nous soutenons également les clients non résidentiels grâce à des solutions prévisibles d’approvisionnement en énergie renouvelable (via des contrats de type PPA/vPPA), leur offrant ainsi une meilleure visibilité sur leurs coûts énergétiques et la possibilité d’atteindre leurs objectifs de décarbonation. Un exemple concret est le partenariat avec Orange Roumanie, dans le cadre duquel nous avons signé deux contrats vPPA qui contribueront de manière significative à leurs objectifs de décarbonation, en garantissant qu’une part substantielle de leurs besoins énergétiques soit couverte par des sources renouvelables.
Comment ENGIE a-t-elle réussi à rester constante sur le marché roumain, alors que d’autres acteurs internationaux se sont retirés?
Nous avons toujours considéré la Roumanie comme un marché stratégique. Depuis plus de 20 ans, nous y avons accompagné les transformations du secteur énergétique, en devenant progressivement un acteur intégré, facilitateur de la transition énergétique et employeur de référence.
Quelques repères :
- 1,265 milliard d’euros investis dans la modernisation et l’extension du réseau de distribution (24 000 km aujourd’hui, contre 14.200 km en 2005) ;
- plus de 8.000 km réhabilités et 75 % du réseau converti en polyéthylène (contre 23 % en 2005), réduisant significativement les émissions de méthane ;
- 2,28 millions de clients raccordés au réseau, soit le double par rapport à 2005 ;
- 2,16 millions de clients résidentiels en fourniture de gaz naturel, 835.700 contrats de services énergétiques, et 34,46 MWp de capacité photovoltaïque installée pour l’autonomie énergétique ;
- 248 MW déjà installés en renouvelables (178 MW éolien, 70 MW solaire), avec un objectif de 1 GW d’ici 2030 ;
- 4 400 collaborateurs et 243,5 millions de lei investis dans leur formation.
- plus de 15 millions d’euros investis dans des projets sociaux, touchant plus de 600.000 bénéficiaires.
Notre constance s’explique par trois leviers : discipline dans les investissements, diversification du portefeuille et priorité donnée aux collaborateurs et aux communautés.
Quels sont aujourd’hui les risques et défis majeurs du marché de l’énergie en Roumanie?
Le marché énergétique roumain traverse une période de transition complexe. Les principaux risques sont :
- un contexte géopolitique et économique volatil, impactant les prix;
- une instabilité réglementaire, qui fragilise la confiance des investisseurs et la transparence vis-à-vis des consommateurs;
- le retour progressif à un marché totalement libéralisé, qui doit être équilibré entre protection des consommateurs vulnérables et incitation des producteurs à investir.
- Nous nous préparons à ces défis par :
- la diversification de notre portefeuille renouvelable,
- l’investissement dans le stockage d’énergie,
- et la modernisation du réseau de distribution pour intégrer les gaz verts.
Nous restons aussi un partenaire actif dans le dialogue avec les autorités, pour un cadre réglementaire stable et prévisible.
Quelles leçons avez-vous tirées de l’investissement dans la formation de vos 4 400 employés?
La force d’une entreprise repose avant tout sur ses collaborateurs. C’est pourquoi nous avons consacré plus de 243,5 millions de lei à leur formation continue.
La principale leçon: le développement du capital humain est un processus permanent. Les technologies évoluent vite, la digitalisation transforme les métiers, et les attentes des jeunes générations sont différentes. Pour rester compétitifs, il ne suffit pas d’investir dans l’infrastructure: il faut investir dans les gens.
Notre résilience en Roumanie – y compris durant la pandémie, la crise énergétique ou les périodes de forte volatilité – s’explique largement par l’engagement et la solidarité de nos équipes.
Comment la Roumanie a-t-elle changé grâce à vos projets sociaux?
Pour nous, la transition énergétique doit être juste. C’est pourquoi notre stratégie RSE repose sur trois axes : santé, éducation et environnement.
- Santé: Partenariat de plus de 10 ans avec Dăruiește Viață (premier laboratoire de biologie moléculaire et cytogénétique à Fundeni), modernisation des services d’oncologie, équipements médicaux performants, unités modulaires de triage à Elias pendant la pandémie. Avec HOSPICE Casa Speranței : 4 000 hospitalisations gratuites, 6 300 visites à domicile et 7 600 consultations.
- Éducation: Programme Éco-Créateurs d’énergie avec plus de 60.000 élèves sensibilisés, dont 4.100 impliqués directement. Des laboratoires pratiques et panneaux photovoltaïques dans les écoles permettent aux enfants de comprendre l’énergie par l’expérience.
- Environnement : Installation de panneaux photovoltaïques pour 132 familles de 19 départements sans accès à l’électricité, soutien à des projets de biodiversité à la Grădina Botanică de Bucarest, et ouverture du premier Centre d’économie circulaire de Roumanie, avec 4 000 m³ d’objets collectés et réutilisés.
En 20 ans, nous avons investi plus de 15 millions d’euros et touché 600.000 bénéficiaires directs. Mais au-delà des chiffres, il y a des histoires : des enfants qui étudient le soir grâce à la lumière, des patients qui vivent leurs derniers jours dans la dignité, des communautés qui retrouvent l’espoir.
Quelles seraient vos trois recommandations à un investisseur intéressé par la Roumanie?
- Penser long terme. Le marché roumain récompense la patience et la vision. Nous en sommes la preuve: arrivés en 2005, nous sommes aujourd’hui leaders après deux décennies de construction progressive.
- Investir dans le capital humain. La Roumanie dispose de talents remarquables, capables de porter les transformations nécessaires.
- Être prêts à s’adapter. Le marché est dynamique, les réglementations évoluent, mais les opportunités sont à la hauteur.
La Roumanie est une terre de défis, mais aussi d’opportunités stratégiques pour ceux qui savent bâtir dans la durée.