Roxana Chiș, Sustainability, ESG & CSR Manager, Romcarton Ambro
La transition verte ne se fait pas dans un laboratoire isolé. Nous avons besoin d’interactions entre l’industrie, la recherche, les autorités et la société civile.
Comment ton parcours professionnel t’a-t-il conduite au rôle actuel dans le domaine du développement durable ?
J’ai débuté dans le domaine de la traduction et de la communication, ce qui m’a permis, dès les bancs de la faculté, de comprendre en profondeur le fonctionnement d’une usine industrielle. En parallèle de ma formation francophone et de ma participation à un projet politique européen pendant mon master à l’INALCO à Paris, j’ai développé une vision large de la responsabilité des entreprises vis-à-vis de la société. Les rôles en relations publiques, RSE, affaires publiques et institutionnelles, enrichis par un lien constant avec les aspects techniques (processus de fabrication, données environnementales, calculs d’empreinte carbone) et les exigences ESG sur la chaîne de valeur, m’ont naturellement conduite vers la direction du développement durable. Une transition qui est devenue autant personnelle que professionnelle.
Que signifie pour toi, personnellement, la "transition verte" ?
Pour moi, la transition verte est un changement de paradigme – un passage des modèles linéaires de production et de consommation vers des systèmes qui préservent les ressources, valorisent les déchets et génèrent un impact positif. Il s’agit de penser en cycles et en générations. De construire de manière cohérente – sur les plans économique, social et durable.
Quelles sont les principales orientations de la stratégie de développement durable chez Romcarton Ambro ?
Décarbonation
Nous nous sommes engagés à réduire nos émissions directes et indirectes selon les standards SBTi, avec des investissements majeurs dans l’efficacité énergétique. La centrale de cogénération d’Ambro, réalisée avec un soutien européen, a permis de réduire les émissions de CO₂ de plus de 9 000 tonnes et d’économiser 24 % de la consommation d’énergie primaire dès la première année.
Économie circulaire
Nous sommes passés d’un modèle linéaire (extraction-utilisation-élimination) à un modèle circulaire, où les ressources sont maintenues en usage le plus longtemps possible.
Dans nos usines, nous appliquons les principes de l’économie circulaire à tous les niveaux :
- Ambro recycle chaque année un tiers des quantités collectées en Roumanie.
- Les déchets issus de la transformation des plaques de carton en boîtes sont réintroduits dans le circuit de production.
- Les palettes en bois sont réparées dans nos propres ateliers ou valorisées énergétiquement en tant que biomasse.
- Un projet est en cours pour valoriser énergétiquement les boues de la station d’épuration d’Ambro, afin de produire du biogaz.
- Ambro et Romcarton disposent de stations d’épuration propres, permettant la réutilisation de l’eau traitée dans le processus industriel.
Ces mesures contribuent à réduire le gaspillage, diminuer la consommation de ressources naturelles et baisser l’empreinte carbone de nos produits.
Impact communautaire
Notre responsabilité se reflète dans ce que nous rendons concrètement à la société : éducation, santé, culture, environnement, partenariats durables. Nos projets contribuent à 15 des 17 Objectifs de Développement Durable de l’ONU – non pas seulement en théorie, mais à travers des actions concrètes et porteuses de sens.
Comment intégrez-vous les principes de l’économie circulaire dans le quotidien de l’entreprise ?
L’économie circulaire est pour nous une réalité opérationnelle : nous recyclons, réintroduisons les matériaux, réutilisons l’eau, réparons les palettes, réduisons les pertes. Nous combinons le savoir-faire industriel avec une vision à long terme. La boucle circulaire fonctionne à chaque étape : du déchet au nouveau produit.
Quelles technologies ou processus récents ont eu un impact significatif sur l’efficacité énergétique ou la réduction des émissions ?
Nous avons intégré la cogénération à haute efficacité, augmenté le taux d’électrification des chariots élévateurs, et sommes passés à une utilisation exclusive d’électricité d’origine renouvelable. Nous investissons également dans des technologies qui permettent la substitution du gaz par de la biomasse et du biogaz, en cherchant un équilibre durable entre efficacité et compétitivité.
Tu coordonnes désormais le Groupe de Travail sur la Transition Verte au sein de la CCIFER. Quelles en sont les priorités immédiates et l’agenda jusqu’à la fin de l’année ?
Nous avons commencé avec le sujet brûlant du début d’année : l’impact d’OMNIBUS et les nouvelles obligations de reporting extra-financier. Ensuite, nous traiterons la circularité « chez elle », lors d’une rencontre organisée chez Romcarton. Une session dédiée à l’énergie est également prévue, suivie d’une réunion conjointe de trois groupes de travail de la CCIFER sur des thèmes transversaux – restez à l’écoute !
Nous souhaitons transformer les défis réels des entreprises en messages constructifs à destination des autorités et des réseaux européens, en encourageant des partenariats publics et des collaborations systémiques qui soutiennent la transition, au lieu de simplement la réglementer.
Quel rôle joue la collaboration intersectorielle dans le succès de cette transition ?
Elle est essentielle. La transition ne se fait pas dans un laboratoire isolé. Nous avons besoin d’interactions entre l’industrie, la recherche, les autorités et la société civile. Ce n’est qu’ainsi que nous pourrons générer des systèmes robustes, adaptables et équitables.
Comment encouragez-vous l’implication des employés dans les initiatives de durabilité ?
Un exemple emblématique est le Family Day – un événement conçu, organisé et vécu par nous, pour nos employés et leurs familles, avec nos partenaires traditionnels. C’est un format « copyright Rossmann » – une expérience émotive où l’on redécouvre le lien entre les personnes, le lieu de travail et l’impact de notre travail.
Les enfants, les parents, les collègues se réunissent à l’usine pour découvrir des ateliers créatifs, des aires de jeux, des visites techniques et des espaces où la durabilité devient une expérience commune. C’est la preuve vivante que la transformation commence de l’intérieur.
Peux-tu nous parler d’un projet social ou écologique dont tu es particulièrement fière ?
Let’s Do It, Romania! a été notre première grande action écologique, il y a plus de 15 ans. Lors des premières éditions, nous avons mobilisé plus de 100 collègues à chaque fois. Cela a été un moment fondateur de notre culture d’entreprise engagée.
Je suis également très attachée au partenariat avec l’Alliance Française de Suceava, que nous soutenons depuis sa création à travers un appui financier, du mentorat et du bénévolat. Aujourd’hui, c’est un centre éducatif actif dans le nord-est du pays, avec un impact concret sur la communauté, les enfants de nos employés et la promotion des valeurs francophones.
Quel est, selon toi, le plus grand obstacle à la transition en Roumanie ?
L’absence d’un plan national cohérent et intégré de transition climatique, qui aligne toutes les politiques et stratégies pertinentes.
Sans une vision claire, coordonnée et prévisible, les efforts des entreprises risquent d’être fragmentés, et l’accès au financement ou aux décisions opérationnelles durables est rendu plus difficile. Le besoin de cohérence stratégique et de véritables partenariats public-privé est plus urgent que jamais.
Quel message adresserais-tu aux entreprises qui hésitent encore à investir dans la durabilité ?
La durabilité n’est pas un coût – c’est un investissement dans la compétitivité, la résilience opérationnelle et la transition vers un modèle économique viable.
Il ne s’agit pas de réputation, mais de la capacité d’une entreprise à résister aux pressions du marché, à s’adapter à des réglementations de plus en plus strictes, et à intégrer les critères ESG dans ses processus décisionnels.
Dans un contexte marqué par l’instabilité climatique, la volatilité énergétique et les exigences de traçabilité dans la chaîne de valeur, les investissements en durabilité signifient des infrastructures plus efficaces, une réduction des risques non financiers et un accès facilité au financement durable.
C’est, en fin de compte, l’héritage que nous construisons : pour l’entreprise, pour le secteur, pour la société.